3 octobre 2012

La folie de l'austérité en Europe



RTBF Info | par Paul Krugman | samedi 29 septembre 2012

Eh bien, en termes de suffisance, on est servis. Il y a quelques jours, la sagesse populaire voulait que l’Europe ait enfin repris les choses en main. En promettant d’acquérir les obligations des pays en difficulté si cela s’avérait nécessaire, la Banque Centrale Européenne avait apaisé les marchés. Tout ce qu’il restait soi-disant à faire aux pays endettés, c’était d’accepter une austérité encore plus importante et plus profonde – telle était la condition pour que la BCE leur accorde des prêts - et tout allait bien se passer.

Mais ceux qui propagent la sagesse populaire ont oublié que des personnes étaient impliquées. Tout à coup, l’Espagne et la Grèce connaissent des mouvements de grève et des manifestations monstres. Dans ces deux pays, les gens disent en substance qu’ils ont atteint leur limite : avec un taux de chômage digne de la Grande Dépression et la classe moyenne d’autrefois obligée de fouiller les poubelles à la recherche de restes de nourriture, l’austérité est déjà allée trop loin. Et cela signifie qu’il pourrait bien, finalement, ne pas y avoir d’accord,.

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Beaucoup de commentateurs suggèrent que les espagnols et les grecs remettent simplement l’inévitable à demain, qu’ils se révoltent contre des sacrifices qui doivent vraiment être consentis. Mais la vérité c’est que les manifestants ont raison. Davantage d’austérité n’apporterait rien d’utile ; ceux qui se montrent irrationnels, ce sont les hommes politiques et les responsables soi-disant sérieux qui exigent toujours davantage de souffrances.

Prenons les graves maux de l’Espagne. Quel est le véritable problème économique ? En fait, l’Espagne ne parvient pas à digérer les conséquences de la gigantesque bulle immobilière qui a causé à la fois un bel élan économique et une période d’inflation qui a rendu l’économie espagnole non compétitive par rapport au reste de l’Europe. Lorsque la bulle a éclaté, l’Espagne s’est retrouvée face à ce problème compliqué de redevenir compétitive, un processus difficile qui prendra des années. A moins que l’Espagne ne sorte de l’euro – un pas que personne ne veut faire – elle est condamnée à des années de taux de chômage élevé. Mais ces souffrances prétendument inévitables sont encore amplifiées par des coupes très sévères dans les dépenses ; et ces coupes dans les dépenses sont l’exemple de ce que signifie faire souffrir pour faire souffrir.

Tout d’abord, ce n’est pas parce que le pays était dépensier que l’Espagne s’est retrouvée dans cette situation. Au contraire, à la veille de la crise, l’Espagne dégageait des bénéfices budgétaires et avait une dette minime. D’importants déficits sont apparus lorsque l’économie a faibli, emportant avec eux les recettes fiscales, mais même alors, l’Espagne ne semblait pas avoir une dette aussi élevée que ce que l’on pourrait croire.

Il est vrai qu’actuellement, l’Espagne éprouve des difficultés à emprunter afin de financer ses déficits. Cependant, ce souci est surtout engendré par les inquiétudes au sujet du pays en général – et la peur de troubles politiques face au très fort taux de chômage n’est pas la moindre de ces inquiétudes. Et ôter quelques points au déficit budgétaire ne calmera pas ces peurs-là. En fait, des recherches menées par le Fonds Monétaire International suggèrent que des coupes dans les dépenses dans une économie profondément déprimée pourraient bien plutôt affaiblir la confiance des investisseurs parce qu’elles donnent un coup d’accélérateur au déclin économique.

En d’autres termes, économiquement parlant, la situation de l’Espagne suggère qu’elle n’a pas besoin de davantage d’austérité. Elle ne devrait pas pour autant faire la fête et en fait, elle n’a sans doute pas d’alternative (si ce n’est sortir de l’euro) à une longue période d’heures sombres. Mais des coupes sauvages dans des services publics essentiels, dans les aides aux démunis, et d’autres actions du même genre hypothèquent fortement les chances du pays à réussir à s’adapter.

Alors, pourquoi exige-t-on davantage de souffrance ?

L’explication tient en partie au fait qu’en Europe, tout comme en Amérique, beaucoup trop de "Gens Très Sérieux" se sont laissés envoûter par le culte de l’austérité, par cette croyance selon laquelle les déficits budgétaires sont le danger identifié le plus immédiat, et non le chômage de masse, et que la réduction des déficits résoudra d’une certaine façon un problème amené en premier lieu par les excès du secteur privé.

Au-delà de ça, une partie importante de l’opinion publique, au cœur de l’Europe – en Allemagne surtout - est attachée à une vision tronquée de la situation. Si l’on parle à des dirigeants allemands, ils vous expliqueront que la crise de l’euro est une fable morale, une histoire de nations vivant au-dessus de leurs moyens et qu’ils en paient le prix aujourd’hui. Peu importe que ce ne soit pas du tout ce qui s’est passé – de la même façon qu’il est un peu gênant de rappeler que les banques allemandes ont joué un grand rôle dans le gonflement de la bulle immobilière espagnole. Ils tiennent à leur histoire de pêchés et ses conséquences.

Mais ce qui est pire, c’est que beaucoup d’électeurs allemands y croient également, principalement parce que leurs dirigeants politiques le leur ont dit. Et la peur d’un retour de bâton de la part des électeurs qui croient, à tort, qu’ils doivent assumer les conséquences de l’irresponsabilité des pays du sud de l’Europe, laisse les dirigeants politiques allemands réticents à approuver le prêt d’urgence à l’Espagne et aux autres pays en difficulté, à moins que les emprunteurs ne soient punis en premier.

Bien entendu, ce n’est pas de cette façon que ces exigences sont présentées. Mais elles en reviennent à cela. Et il est plus que temps de cesser ces bêtises si cruelles.

Si l’Allemagne veut réellement sauver l’euro, elle devrait laisser la Banque Centrale Européenne faire ce qui est nécessaire afin de sauver les pays endettés – et elle devrait le faire sans exiger davantage de souffrances inutiles.

Paul Krugman

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