3 octobre 2012

Nouvelle... Nouvelle-Orléans

"J'ai acheté  six poissons..." - Athènes 02/10


Greek crisis | par Panagiotis Grigoriou | 3 octobre 2012

Eric Hobsbawm n'est plus de ce monde depuis avant-hier (01/10). Il s'est éteint, emportant avec lui son inoubliable « court 20ème siècle » qui est aussi le nôtre. À la lecture de la presse athénienne mardi matin, j'ai remarqué que même les journaux mainstream, ont consacré un mot juste à la disparition de ce grand historien britannique. Le court XXe siècle n'est plus certes, mais pour ce qui est de l'âge des extrêmes, décidément, nous y sommes toujours. Par pure coïncidence, ce mardi fut également la journée où les Troïkans se sont fait huer par des manifestants devant le ministère de l'Économie.

"L'âge des extrêmes" - Athènes - autocollant sur un mur - 01/10
Les médias nous informent par la même occasion du clash « soudain » survenu ce matin, entre Samaras et la Troïka, la bonne blague. Nikitas Kaklamanis, député et ancien ministre appartenant à Nouvelle Démocratie, déclara (mardi) vers 15h à la radio « que Antonis Samaras ne devrait plus recevoir les membres de la Troïka, car ces derniers ne sont que des exécutants, ses interlocuteurs à lui, disons de son rang, sont plutôt les chefs de gouvernement. C'est une erreur qui a été commise dès le départ par le gouvernement (...) et d'ailleurs, je ne suis pas certain de mon soutien lors du prochain vote au Parlement. Je vais dire que ce nouveau train de mesures et de rigueur va trop loin, sur le prolongement du temps de travail par exemple. Il serait grand temps que le gouvernement recherche une solution politique au problème. Pour ce faire, il va falloir interpeller d'une façon ou d'une autre, les chefs politiques des autres pays » (Real-FM, cité de mémoire).

Fermetures - En Attique 02/10

Dramatisant davantage, le journaliste a résumé en une seule phrase les dernières exigences des Troïkans : « porter la durée du travail hebdomadaire de cinq à six jours dans le secteur privé sans augmentation des salaires, suppression des indemnités liées aux licenciements, suppression de toutes les allocations sociales restantes et licenciement immédiat de 15.000 agents de la fonction publique ». Rien que tout cela et voilà que les alchimies habituelles des ministres n'impressionnent plus tellement les technocrates (administrateurs coloniaux), venus tout droit de l'Empire du non-sens planétaire des usuriers internationaux. Sauf que ce non-sens tue. On compte ainsi 1.400 nouveaux chômeurs chaque jour, et on nous annonce que le taux de chômage officiel, « prévu » et toujours statistiquement « corrigé » pour 2013 dépassera 33%.

Eric Hobsbawm aurait peut-être établi un parallèle rappelant la Guerre de 14-18. On sait à ce propos que du déclenchement et jusqu'au dernier jour de la Grande guerre, les pertes de l'armée française par exemple, s'élevèrent (en moyenne) à plus de mille morts par jour. Et en ce moment, si en plus on considère en Grèce, cette récession cumulée (24% !) depuis le début de la crise, on réalise alors (non sans peine), que quoi qu'on dise, notre nouveau régime c'est d'abord la guerre. Ce matin (03/10), des enfants issus de familles nombreuses ont été symboliquement « déposés » par leurs parents au bureau du Préfet de région à Drama, au nord de la Grèce. « Débrouillez-vous, car suite à la suppression des allocations et suite au nouveau calcul de l'impôt faisant du nombre d'enfants un signe de richesse potentielle et de ce fait imposable indépendamment des revenus réels, nous vous confions nos enfants... » (reportage Real-FM). Et bientôt... les pupilles de la nation ?
"Un autre homme plongeait presque dans les poubelles" - 02/10
Une guerre étrange, et parfois éclectique est en cours, car toutes les catégories sociales ne sont pas touchées de la même manière (ce qui contribue à la désunion dans la lutte et dans la résistance). Il s'agit également d'une guerre camouflée en produit marketing, dont l'emballage... c'est encore nous dans un sens. Après la dématérialisation des échanges « grâce » à la finance, voilà une guerre faite par (et contre) « l'emballage », plutôt que par du contenu. Autrement-dit, nous sommes vidés : « C'est... magnifique, nous avons été vaincus par le vide », s'est exclamé un vieil homme hier mardi, à la sortie de la station du métro Sepolia, tandis que sur le trottoir d'en face, un autre homme plongeait presque dans les poubelles à la recherche de nourriture dans l'indifférence totale. Et de cette guerre, les premières victimes ont été les employés du secteur privé, ainsi que les petits et moyens entrepreneurs. En deux ans de mémorandum, plus de 850.000 travailleurs et employés du privé, se sont ajoutés aux chômeurs de... l'avant guerre, presque un tiers des entreprises du pays ont ainsi fait faillite.
"Réunions de quartier contre l'austérité..." - Athènes 02/10
Précisons que ces 850.000... nouvelles âmes chômeuses, représentent en taille statistique l'équivalent du nombre des fonctionnaires du pays. Je crois que par analogie, et en France par exemple, le secteur privé aurait pareillement supprimé pratiquement 5 millions d'emplois et ceci en moins de deux ans. Car finalement, c'est encore le travail qui est au centre du problème, c'est à dire de la solution. Sans travail, les « démocraties » occidentales n'ont plus de raison d'être, et c'est (aussi) pour cette raison qu'elle n'existent plus de fait. Chez nous donc, pays occupé et en même temps, laboratoire de l'austérité, les masques tombent et avec elles, nos derniers attachements au régime prétendument démocratique. C'est triste. Et ceci, plus uniquement que chez les sinistres paraphrasés de l'histoire que sont les Aubedoriens de la rue adjacente... et de l'avenue du nazisme.

À gauche aussi, certains ne sont plus tellement prêts à soutenir l'insoutenable à n'importe quel prix. Aliki, cadre SYRIZA (au sein d'un courant minoritaire), irait même plus loin : « Alexis Tsipras se trompe en pensant qu'un beau jour, nous gouvernerons pour restaurer la démocratie bourgeoise enfin purifiée et fonctionnelle, qui plus est, socialement acceptable, c'est à dire débarrassée du chômage. Cette démocratie, déjà assassinée par les tenants du pouvoir économique et en même temps politique, de même que par l'Union Européenne devenu un instrument géopolitique et économique aux mains de l'Allemagne, cette démocratie donc, n'est plus la première des préoccupations du corps social. Les gens le savent par expérience, c'est du vécu car le gens veulent tout simplement travailler et manger. 
"Appartements à vendre ou à louer..." - Athènes 02/10
De ce fait, (ils) ne bougeront même pas leur petit doigt contre une dictature interne, qui se déclarerait hostile à la dictature actuelle des « créanciers » et des mafias locales. Notre camarade Alexis donc, au lieu de fréquenter les eurocrates à l'heure du thé, à Berlin ou à Bruxelles, ferait mieux de déterminer combien et comment une certaine unité populaire, forces armées comprise serait possible, pour peut-être gouverner d'une main de fer. C'est la seule manière disons d'opposition efficace, à la composante la plus rapace du capitalisme local, ainsi qu'à celui des autres occupants venus de l'extérieur. Pour briser le bunker mémorandum, il va falloir sortir de l'Union Européenne. Le pays a des atouts, et après tout, on peut regarder aussi et simultanément ailleurs, vers la Russie et les États-Unis par exemple. Est-ce possible ? Ou sinon, que nous disions enfin clairement à nos électeurs : « les gars, c'est impossible, nous jetons l'éponge. Débrouillez-vous ». Mais nous ne ferons rien, sauf lutter par (et contre) nos propres erreurs... dans ce sable mouvant... »
"Nous ne faisons que payer, sans cesse sans aucun espoir en contre-partie.." - 02/10
Notre gauche réfléchit ou alors se perd dans ses pensées, c'est selon ! Entre-temps, les gens râlent, se disputent sur les trottoirs et dans les rues, et n'ont qu'un seul mot à la bouche, comme cette femme, une passante anonyme : « Nous ne faisons que payer, sans cesse sans aucun espoir en contre partie. Mes enfants partent en Angleterre. Ici, nous sommes déjà morts ma chère... ». Boutiques fermées, appartements à vendre ou à louer par dizaines de milliers et réunions de quartier contre l'austérité, tel est notre univers. « Solidarité mes amis, aidez vos prochains si vous le pouvez, mais ne nous leurrons pas : ce n'est pas par la solidarité que nous nous en sortirons », tel fut le mot d'ordre du journaliste Trangas ce matin (03/10) à la radio Real-FM.

L'ex-Grèce et sa nouvelle économie au bois de chauffage, hypothéquée une fois de trop par ces usuriers acheteurs d'or, dont les comptoirs se trouvent désormais sur chaque coin de rue.

"L'ex-Grèce et sa nouvelle économie..." - 02/10

Mais la nouveauté, c'est aussi que la peur gagne aussi l'autre camp. Il n'y a qu'à observer le regard des Troïkans depuis ce début d'automne, lors de leurs déplacements. Ils sont pourtant bien gardés ces gens... Tout comme les chefs politiques, c'est à dire les Quisling locaux qui de plus en plus souvent, circulent en voiture blindée. Nul n'est capable de dire à partir de quel tournant de notre histoire immédiate, la... nécessité du chaos organisé, cédera la place au plaisir de la chasse à l'homme, tel que nous percevons déjà dans les représentations et certains actes isolés ou « entourés ». C'est aussi pour cette raison, que nous ne trouvons plus dans un régime démocratique... Hier, au nord de la Grèce, les habitants de Paranesti (une bourgade), le Conseil municipal dans son ensemble, ainsi que les Aubedoriens du coin, se sont révoltés, s'opposant à l'établissement dans de leur commune, d'un centre de détention pour immigrés en situation irrégulière.
La police et les MAT (CRS) ont fait usage de leur chimie habituelle et la jacquerie s'est terminée dans un véritable corps à corps. Selon les reportages, il y a eu cinq arrestations, tandis que le chef adjoint de la police locale, fut transféré à l'hôpital, sérieusement blessé à la tête. En réponse aux lacrymogènes de la police, un habitant sortit même son fusil tirant en l'air en signe d'avertissement vis à vis des forces de l'ordre, avant d'être désarmé par un autre habitant. Les Troïkans ont sans doute raison d'avoir peur et ceci, serait peut-être à mettre en lien, également avec cette autre grande nouveauté : désormais, une certaine tranche de « notre » grande bourgeoisie est visée par la bancocratie (pas de la même manière que le peuple certes). À son niveau, ce n'est pas la survie qui serait en jeu, mais plutôt la capacité - c'est à dire l'accès - au pillage par exemple des matières premières et des « marchés sûrs » du pays, comme l'énergie ou les réseaux, même lorsqu'il s'agit de rentabilité à moyen ou à long terme.
"Locaux à louer" - 02/10
D'après certains signes qui ne trompent plus, on commencerait à le murmurer tout doucement ces dernières semaines dans les beaux quartiers d'Athènes, et jusqu'aux oreilles même de Samaras : « ça va mal tourner ». Quelle époque ! La Grèce c'est aussi l'expérimentation de la « refonte » d'une société sur d'autres « bases », après une catastrophe, une sorte alors de nouvelle Nouvelle-Orléans après le passage de Katrina et de l'ouragan des praticiens à la manière de Milton Friedman. Et pendant que les « créanciers » semblent désormais se bagarrer autour de notre dépouille, il semblerait que récemment, les contacts (à tout niveau) avec les États-Unis se multiplient.

Il y aurait donc les Etats-Unis, l'Allemagne et entre eux rien d'autre, selon une doxa assez partagée ces derniers temps à Athènes. Mais il y a aussi les peuples, leurs apories et leurs luttes dans l'adversité et le brouillard. Et d'abord celle pour la survie. Rue d'Alcyone, un homme posait hier des petits cartons sur les pare-brises des voitures garées : « J'achète tout véhicule destiné à la casse ». Il se parlait à lui-même... mais par un authentique délire politique : « Les Allemands nous mettent à la casse, mais que font-ils les Américains ? »
« J'achète tout véhicule destiné à la casse » - 02/10
Je n'ai pas eu le temps de suivre jusqu'à la fin, l'interview de Nikitas Kaklamanis (député et ancien ministre Nouvelle Démocratie), car le poissonnier du coin était sur le point de fermer. À part les nouvelles du jour, c'est tout de même le moment où certains poissons deviennent enfin abordables. Effectivement, j'ai acheté six poissons pour quatre euros, c'est la crise disons et enfin son juste prix. C'était aussi le moment où la patronne de la poissonnerie exposait à son interlocuteur... la mesure de ses propres limites dans... l'effort nécessaire au redressement de notre pays : « Je sais que ton neveu est au chômage, je vais donc l'embaucher à partir de Samedi prochain. Il sera en période d'essai, je sais qu'il faut aider les jeunes, c'est en plus un Grec. [Les employés de cette poissonnerie centrale, sont Grecs, Albanais, Pakistanais et Arabes] Ah... oui monsieur, cette dorade [Pagrus] est superbe, je vous la laisse pour 300 euros, c'est 450 euros normalement. Avant la crise on n'en voyait pas tellement la... couleur... je veux dire de ces poissons, car les restaurateurs les achetaient directement auprès des pêcheurs, bien avant nous. Un si joli morceau en plus... Mais depuis un an, les restaurants en achètent beaucoup moins.... ».

Les autres clients de ce dernier moment ont regardé l'acheteur fortuné comme quelqu'un venu d'un autre monde. « C'est un gros poisson ce type... eh ? » a murmuré un retraité. Notre société, ses poissons petits et gros, l'âge des extrêmes jusque chez le poissonnier... et ce XXIe siècle, déjà trop long.
"Ah... oui monsieur, cette dorade" - 02/10


Source de cet article (texte et photos), http://greekcrisisnow.blogspot.fr/2012/10/nouvelle-nouvelle-orleans.html

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